Le 15 février s’ouvre à l’hôtel Continental le procès du groupe Manouchian. Le huis clos est de mise mais la presse parisienne collaborationniste, seule autorisée à assister au procès, en rend compte largement ( Le Petit Parisien trouve là l’occasion de dénoncer : « Le bolchevisme et le judaïsme ont fait cause commune. » ).
Au-delà, le même jour, une affiche est éditée et placardée dans toute la France à plusieurs milliers d’exemplaires : l’Affiche rouge. 10 portraits avec noms étrangers, nombre d’actions commis, mention du pays d’origine et dans 7 cas sur 10, ces quatre lettres qui se voulaient infamantes : « juif ». Il s’agit de présenter ces Résistants – et, à travers eux, la Résistance – comme une bande de malfrats, semeurs de désordre, de dangereux brigands venus d’ailleurs : « l’armée du crime ».
Pourtant, le grand journal de la Résistance culturelle, d’initiative communiste, Les Lettres françaises, le rapporte vite : « Sur l’une des affiches, la nuit, quelqu’un a écrit au charbon en lettres capitales ce seul mot : MARTYRS. C’est l’hommage de Paris à ceux qui se sont battus pour la liberté. »
Destinée à discréditer la Résistance, l’affiche devient malgré elle hommage.
En 1955, à l’occasion de l’inauguration de la rue du Groupe- Manouchian dans le 20e arrondissement – dénomination si longuement réclamée par les communistes parisiens –, Aragon en fait un hymne avec ses « Strophes pour se souvenir » que Léo Ferré met en musique en 1961 sous le nom de « L’Affiche rouge ». Ainsi renversée, « l’Affiche rouge » demeure comme un éternel hymne à Manouchian, à la Résistance, à la fraternité humaine.
Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.
Louis Aragon,
Le Roman Inachevé
Ce poème a été demandé par le PCF à Louis Aragon à l’occasion de l’inauguration en 1955 d’une « rue du Groupe Manouchian » dans le XXe arrondissement de Paris. Publié en Une de L’Humanité le 5 mars 1955, sous le titre « Groupe Manouchian » puis dans Le Roman Inachevé sous le titre « Strophes pour se souvenir ». En 1961, Léo Ferré le met en musique et l’interprète sous le titre « L’Affiche Rouge ».
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