Serge Wolikow, Historien
Entretien réalisé par Pierre Chaillan (L'Humanité 31 janvier 2024)
Le 21 février, Missak Manouchian accompagné de Mélinée Manouchian, rejoindra le Panthéon, quatre-vingts ans après l’exécution de son groupe de résistants dit de l’Affiche rouge. Que représente, pour vous, cette panthéonisation ?
Cet événement, marquant, comporte plusieurs dimensions attachées à la personnalité des Manouchian. Leur entrée au Panthéon est celle non seulement d’étrangers, mais aussi de communistes. Qu’il ait fallu attendre quatre-vingts ans pour que cela devienne effectif peut laisser perplexes seulement ceux qui méconnaissent l’imbrication complexe entre Histoire et mémoire !
L’implication en France des communistes dans la Résistance et celle des étrangers dans la lutte antifasciste, comme le tribut qu’ils ont payé à la répression exercée par les occupants nazis et la police de Vichy sont attestés de longue date par le travail historique. Ainsi, cette entrée au Panthéon représente la fin d’un ostracisme injustifié.
Pour lancer la lutte armée contre l’Occupation, dès l’été 1941, le Parti communiste a dû surmonter réticences et incompréhensions, car la culture du mouvement ouvrier avait de longue date mis en avant l’action de masse et la mobilisation militante dans l’espace démocratique et récusé l’action directe violente.
Les communistes avaient rejeté l’action minoritaire et violente, y compris dans la lutte antifasciste, si ce n’est en Espagne où nombre de militants étaient allés combattre dans le cadre des Brigades internationales.
En France, le seul précédent était la lutte patriotique et sociale, lors de la Commune de Paris. À partir de 1941, les jeunes communistes, les militants aguerris dans la guerre d’Espagne, mais aussi les militants ouvriers de la MOI vont constituer les combattants dont l’action inflige aux troupes allemandes des coups qui détruisent sa superbe. Missak Manouchian prend sa place dans l’organisation des FTP, créés au printemps 1942.
Dans la région parisienne, il va déployer avec ses camarades de la MOI de nombreuses actions d’éclat.
Pourquoi existe-t-il un si grand décalage entre le vote récent de la loi immigration et l’hommage rendu à ces immigrés ?
Le télescopage entre ces deux événements est frappant. Il donne paradoxalement encore plus de force à l’engagement même qui a été celui de Manouchian dans la période des années 1930, puis dans celle de l’occupation allemande où les étrangers ont été considérés comme des boucs émissaires et stigmatisés par les forces de droite et d’extrême droite.
Son combat, au sein de la MOI puis des FTP, s’est nourri de sa rencontre avec le mouvement ouvrier français, de ses idéaux démocratiques et internationalistes, mais aussi de la culture française en écho à la défense et la survie de son identité arménienne.
Sa panthéonisation reconnaît son combat, qui s’inscrit à l’opposé de l’esprit de fermeture et de discrimination qui a présidé à l’adoption de cette loi dont le tiers des articles a été censuré par le Conseil constitutionnel.
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