Manouchian au Panthéon - L'heure de la reconnaissance
L’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian répare une profonde injustice. Il aura fallu attendre 80 ans pour que la composante communiste soit enfin présente aux côtés des autres grands courants de la Résistance, pour que celle-ci soit honorée dans toute sa diversité.
Avec l’entrée d’un étranger, d’un communiste, d’un ouvrier poète aussi le symbole est fort. Il l’est d’autant plus qu’avec l’apposition d’une plaque au Panthéon, l’honneur officiel de la France ira aussi aux 21 FTP-MOI fusillés au Mont Valérien le même jour que Missak et à Olga Bancic décapitée le 10 mai 1944 à Stuttgart, ainsi qu’à Joseph Epstein. Sur les 22 FTP-MOI arrêtés avec Missak, tous condamnés à mort et exécutés par les Allemands, il y avait 20 étrangers, 3 Français, 12 juifs sur 23. Avec Missak, c’est toute la Résistance combattante des FTP, de celles et ceux qui les ont aidés, qui entre au Panthéon. À cette occasion c’est aussi, enfin, la reconnaissance de la mention Mort pour la France pour la totalité des 1 009 fusillés du Mont Valérien dont 65 % de communistes. Car, aussi incroyable que cela puisse paraître, cela n’était pas encore le cas pour nombre d’entre eux.
Missak Manouchian (1906) et Mélinée Assadourian (1913) naissent au début du XXe siècle au coeur d’un Empire ottoman refusant les Lumières et l’autodétermination des peuples. Arméniens, non musulmans, ils subissent les discriminations dans une atmosphère marquée par les massacres de 1894-1896. En 1915, sur fond de Première Guerre mondiale, l’horreur du génocide arménien – deux tiers des Arméniens sont exterminés – laisse Missak et Mélinée orphelins. Une enfance au goût de cendres et d’orphelinats changeants. Garabed, frère aîné de Missak, choisit la France en 1923, malgré la xénophobie portée par nombre d’hommes politiques du temps. Il débarque à Marseille. Missak le suit en 1924. Ils seront ouvriers. Monté à Paris, Missak hante en parallèle la Bibliothèque Sainte-Geneviève, fonde une revue de poésie, pratique assidûment le sport, pose comme modèle pour des artistes. Rescapé, le jeune homme aime la vie et la croque à pleines dents.
Admirateur de la France des révolutions et de Victor Hugo, Missak demande – en vain – la nationalité française en 1933. Arménien en exil, il rejoint les associations d’émigrés, à l’image du Comité d’aide à l’Arménie (HOK). C’est là qu’il rencontre Mélinée Assadourian, jeune sténodactylo et bientôt dirigeante de ce comité.
Antifascistes à en mourir
1934 s’ouvre par une puissante marche sur le Parlement organisée par l’extrême droite. Nous sommes le 6 février et, après l’Italie et l’Allemagne, la France semble sur le point de basculer dans le fascisme. Il faut agir. Missak rejoint le Parti communiste qui ne tarde pas à le désigner comme délégué pour son congrès national (Arles – 1937) : un militant prometteur. En septembre 1939, le tourneur-outilleur de Gnome-et-Rhône est interné à la Santé : communiste, il est suspect.
Finalement libéré, il est mobilisé en octobre. Après l’armistice signé par Pétain, il tente de rallier la Résistance. Une fois la liaison établie, il prend vite des responsabilités. En 1942, il dirige le groupe arménien de la Main-d’oeuvre immigrée (MOI) de la région parisienne avant de prendre le commandement militaire de l’ensemble de la MOI de la région parisienne à l’été 1943. Pendant six mois, malgré la répression qui frappe si durement la Résistance, ce sont des dizaines d’actions menées contre l’occupant. Le 28 septembre, c’est le colonel SS Julius Ritter, responsable du Service du travail obligatoire (STO) en France, qui est abattu par les hommes de Manouchian en plein Paris. Le retentissement est maximal : la France n’est pas une terre offerte aux nazis.
Pendant ce temps, la police française et ses « Brigades spéciales » filent méthodiquement ces Résistants. Le 16 novembre 1943, à Évry Petit-Bourg, Manouchian est arrêté avec le chef militaire des FTP de la région parisienne, Joseph Epstein. Suivent tortures et incarcération. Mélinée doit quitter le logement du couple ; réduite à la plus complète clandestinité, elle trouve refuge des mois durant chez ses amis, les Aznavourian. Jugé avec ses camarades du 15 au 18 février 1944, Missak Manouchian est fusillé au Mont-Valérien le 21. La Résistance pleure un martyr et salue, pour toujours, un héros.
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