Hommes, femmes, enfants par milliers meurent de faim, tandis que d'autres au même instant meurent de trop manger. La terre est devenue propriété et profits pour quelquesuns, alors qu'elle n'est que labeur et peines pour la multitude. Une poignée de "saigneurs" veut nous faire oublier que la terre est à tous et non pas au plus fort. Si certains hommes, aussi, sont plus riches d'intelligence, de santé, de courage… que d'autres, leurs richesses sont de même une dette envers les démunis. Mais la dette s'accroît, sans être jamais remboursée. Si des millions d'hommes vivent sans qu'ils puissent, libres et responsables, prendre leur place dans la construction du monde, c'est que quelques-uns se croient nés, se reproduisent et se croisent, pour être maîtres, et qu'il leur faut des esclaves pour pouvoir le rester. Esclaves à qui, même, on retire la dignité.
La pauvreté et sa soeur contrefaite, la misère, ne se réduisent pas à une « simple » inégalité politique et sociale. Elles rongent leurs victimes au niveau individuel, tant physiquement que moralement et, à son degré le plus difficile, elles paralysent leur capacité de s’exprimer et de communiquer, détruisant leur dignité personnelle et collective. Elle gomme tout ce qu'il y a de plus précieux dans l’existence humaine. Hugo clôt ainsi sa préface des Misérables : « … tant qu'il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres comme celui‐ci pourront ne pas être inutiles ».
Dans la seconde ville du département, j'ai vu une femme faire les poubelles pour y trouver de quoi manger. Les chats le font la nuit, en tapinois, à l'abri des regards. Elle, exposait crûment sa détresse. Sans fard, sans prétexte, résignée hélas, elle n'a plus le choix. J'ai eu honte, les mots m'ont manqué tandis que m'étouffait la colère. Tombée par terre, la faute à Voltaire ? Le nez dans le ruisseau, la faute à Rousseau ?* Non. La faute aux chiens du système.
* Chanson de Gavroche dans Les Misérables.
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