Bien loin du mythe américain, les photographies de Gregory Crewdson, exposées grand format aux Rencontres d'Arles montrent la société américaine post-industrielle, quand les entreprises se sont retirées comme des nuages de criquets, après avoir tout dévoré ; il ne reste que quelques publicités vieillissantes et des humains souvent maigres, parfois estropiés, toujours mutiques, dans une lumière crépusculaire. Mais ce qui peut être pressenti devant ces images c'est le post-capitalisme, c'est-à-dire l'après-catastrophe écologique et sociale : les lucioles ont disparu et sont remplacées par les lumières artificielles, les paysages sont désolés, les humains, murés dans le désespoir et la solitude. Et quand on ressort de cette immersion oppressante à l'air libre mais sous 40°, les cigales, en plus, ont cessé de chanter.
Le climatologue Jean Jouzel, ancien président du GIEC, a tenté d'alerter les membres du MEDEF lors de leur université d'été sur l'ardente obligation d'arrêter d'investir dans les énergies fossiles pour privilégier les énergies renouvelables. « Accueil glacial » dit le climatologue - ce qui par ces temps de canicule... - et Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, de lui rappeler que tout cela est bien beau mais qu'« il y a la vie réelle », et que si Total ne le fait pas, d'autres prendront cette part de marché - et donc ces profits -. Cette déconnexion complète et volontaire de la réalité, qui leur permet de revendiquer sans complexe la recherche de profit au détriment du climat, c'est finalement ce qui mène aux photos de Crewdson. Une société de désolation, qui ne dérange en rien les capitalistes : ils se servent, et ils croient, dans leur certitude de toute-puissance et en bons libertariens, pouvoir échapper avec leur fortune au sort qui sera pourtant commun.
Il est urgent de les rappeler à la vie réelle si nous voulons qu'il y en ait une encore un peu...
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