Danièle Linhart, lumineuse sociologue du travail, a fait dans le cadre de l'Upopaube deux conférences sur l'« insupportable subordination des salariés »* : à la taylorisation qui fait déjà perdre au travailleur la maîtrise de son travail et de son savoir professionnel, s'ajoutent désormais d'autres techniques managériales qui, par un changement fréquent d'objectif de productivité, de méthode, d'horaires de travail, voire de lieu de travail, l'épuisent, lui font perdre peu à peu confiance en lui et le mettent dans un état de précarisation permanente qui peut mener au burn out et au suicide.
Ce 21 mai, la SNCF vient d'être reconnue coupable de faute inexcusable pour le suicide d'un jeune cheminot de 26 ans, Julien Piéraut, qui s'est allongé sur les rails du site où il travaillait, il y a 5 ans exactement, en plein conflit de réforme du système ferroviaire. Lui qui habitait dans l'Aisne et travaillait au Technicentre de Pantin, devait partir à 3h du matin, faire une heure et demie de voiture, travailler et rentrer chez lui à 17h, soit 14 h d'amplitude horaire. Mais il aimait son travail.
On ne lui a accordé aucun logement SNCF proche de son lieu de travail et son salaire ne lui permettait pas d'en trouver en région parisienne ; on ne lui a pas fourni un poste en journée, on l'a passé au contraire à un 3x8 ne garantissant même pas les week-end. Retards, arrêts de travail, tensions, problèmes financiers, souffrance, suicide. À 26 ans.
Derrière « la SNCF », derrière ce « on », il y a des gestionnaires qui, pour le profit d'une société devenue société anonyme en 2020, vendent les logements SNCF au privé et n'hésitent pas à pressurer les salariés statutaires ou non pour plus d'« efficacité ». Julien Piéraut était syndiqué à SUD-Rail et luttait contre la destruction des droits des cheminots. Le rouleau compresseur d'une gestion déshumaine y a mis fin. Insupportable.
* L'insupportable subordination des salariés, Erès, 2021
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