au Théâtre Gérard Philipe de Saint-André-les-Vergers
Sur scène, deux comédiennes, trois comédiens, une violoniste et un accordéoniste, assis devant un pupitre et sur le pupitre une partition. Partition est le mot juste : le nuancier des voix et des musiques s’accordait aux souvenirs et aux émotions d’un petit garçon pendant la guerre, élevé en Champagne et en Normandie dans une famille qui a choisi son camp, celui de la Résistance. Le petit Jean ne comprend pas tout, mais il sent bien que le danger plane audessus d’eux, “le vol noir des corbeaux sur la plaine”, la murmuration…
Les comédiens sont assis ; pourtant la scène devient un espace initiatique avec des personnages singuliers et des situations imprévues, dramatiques ou comiques. Initiation au continent féminin complexe qui ne s’aborde pas sans danger – en l’occurrence une gifle magistrale reçue d'une camarade un peu plus grande que lui, pour avoir mis la main sur un genou qui n’était pas le sien ; initiation à la Résistance avec une tante qui n'a peur de rien et qui, au retour à vélo d'une expédition à la Préfecture, finit par retrouver, au grand soulagement de tous, les fausses cartes d’identité qu'elle avait cachées dans son soutien-gorge ; l’enfant retiendra surtout la « poitrine de cinéma » de sa tante. Les femmes de la famille, la mère, la tante et les deux grand-mères, sont d’ailleurs les personnages principaux, hautes en couleurs ou taiseuses mais toujours courageuses et généreuses.
Les personnages masculins peuvent aussi prêter à rire comme le grand-père Eutrope qui tient à son statut d'invalide de guerre au point de refuser d'équeuter les haricots, le facteur Riton, boiteux, qui a en toute circonstance une imagination poétique, le grand-père Gaspard, Suisse alémanique, qui n'hésite pas à invectiver en allemand des soldats qui avaient tiré dans la fenêtre pour un couvre-feu mal respecté. L'officier allemand, dûment sermonné, n'alla pas plus loin. Mais la légèreté de la comédie fait place à la tragédie, car les corbeaux finissent par s'abattre sur le village : l'oncle Hubert est fusillé, Riton, meurt à Birkenau. L'enfant apprend le mot « héroïsme ».
Aux comédiens et musiciens, tous émouvants, s'ajoutent de petits films d'animation au trait discontinu, hésitant, un peu comme les dessins d'enfants, en noir et blanc, comme dans les vieux films, mêlant photos anciennes et dessins, à la recherche du temps passé mais pas perdu. Il ne manque que l'odeur des coings dans l'armoire à linge. Ce 26 novembre fut une très belle soirée théâtrale, avec les amis de Jean Lefèvre sur scène et dans la salle, et un petit garçon dans la salle qui donnait en partage son enfance si singulière.
Metteuse en scène : Marie-Hélène Aïn ; comédiennes : Chloé Deborde, Catherine Lefèvre ; comédiens : Pascal Broché, François Cancelli, Pierre Humbert ; Violoniste : Emmanuelle Touly ; accordéoniste : Fabien Paco ; vidéaste : Ibraheem Ramadan.
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