COP 28 - Climat - Environnement
Faut-il se féliciter de l’accord final conclu à la COP28 ? Au regard des positions de départ, il serait malvenu de jouer les fines bouches. La semaine dernière, les pays producteurs de pétrole, par la voix de l’Opep, appelaient à rejeter toute limitation des énergies fossiles, usant d’un négationnisme climatique invraisemblable.
Aussi, voir l’ensemble des nations, dont les pétromonarchies, s’entendre pour la première fois sur le principe d’une « transition » est forcément un succès. Et acte, en principe du moins, une prise de conscience qui n’allait pas de soi jusqu’ici.
Mais cet enthousiasme face à une réelle victoire diplomatique ne doit pas faire illusion. Loin de la bulle de Dubaï et de sa créativité lexicale, le plus dur reste à faire : donner à ces mots une réalité concrète. Ne l’oublions pas : les textes issus des COP n’ont rien de contraignant. À Glasgow, en 2021, la réduction progressive de l’usage du charbon avait été actée noir sur blanc.
Ne pas se contenter des formules sur papier glacé
Depuis ? La consommation, tirée par la Chine et l’Inde, n’a cessé de grimper et devrait croître encore en 2024. Tout comme les émissions mondiales de CO2 qui, en dépit des belles intentions, ont atteint leur niveau record en 2023. Ces mauvaises nouvelles ne doivent pas nous désespérer, ni occulter les progrès. Juste nous rappeler qu’il serait dangereux de se satisfaire des formules sur papier glacé. L’accord de Dubaï sera réellement « historique » en fonction de ce que les États vont en faire.
Pour le moment, l’ambiguïté et les doubles discours guident encore bien des décideurs politiques. Comme un symbole, six cadres de TotalEnergies, dont son patron Patrick Pouyanné, étaient accrédités à la COP28 dans la délégation du gouvernement français, pendant que les cours en Bourse des compagnies pétrolières battaient des records au CAC 40.
Les petits pays sont aussi ressortis assommés par le montant dérisoire accordé par les puissances occidentales pour aider les États à s’adapter au réchauffement (655 millions de dollars, là où 350 milliards seraient nécessaires chaque année). Une frilosité coupable, pour ne pas dire minable. On le sait : la lutte contre le réchauffement exige des coopérations à l’échelle mondiale, une remise en cause de modèles économiques prédateurs, le développement de sociétés décarbonées. Espérons que l’accord de Dubaï apporte une pierre à ce défi colossal. Et ne se contente pas d’endormir les volontés.
Propos recueillis par Joël De Paepe
Gervais Itsoua Madzous, Vice-président du Groupe Intergouvernemental d'Experts III sur l'évolution du climat (GIEC), délégué à la COP 28, répond à nos questions.
Organiser la COP dans un pays producteur de pétrole n’est-ce pas un paradoxe ?
Gervais Itsoua Madzous : Je dirais plutôt un atout. Les données de la science nous recommandent de réduire les émissions des gaz à effet de serre dans tous les secteurs de la vie économique des États. Le secteur de l’énergie, lui, est identifié comme étant le plus émetteur de ces gaz. Le rapport rappelle qu’il ne serait pas possible au monde d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris, soit le réchauffement de la planète à un niveau ne passant pas 1,5°C, par rapport à l’ère pré-industrielle, sans des coupes claires dans le secteur de l’énergie fossile. Stratégiquement et diplomatiquement, j’estime que ce serait une erreur de mettre à l’écart et diaboliser les pays producteurs de pétrole. Nous avons besoin de travailler avec eux, de les approcher pour les y amener.
Le rapport final évoque « une transition des énergies fossiles » plutôt qu’une sortie, pour atteindre la neutralité en 2050, n’est-ce pas un peu tardif ?
G. Itsoua Madzous : Les objectifs de l’Accord de Paris restent atteignables, comme nous le disons dans notre jargon, l’Accord de Paris reste en vie.
Des lobbyistes des énergies fossiles ont été accrédités à Dubaï, dont TotalEnergie dans la délégation française. Qu’en pensez-vous ?
G. Itsoua Madzous : Nous ne pouvons prétendre atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, sans la contribution des opérateurs du secteur des énergies fossiles. C’est d’ailleurs une des particularités de cette COP. Le pays hôte avait souhaité renforcer le rôle de ces acteurs non étatiques (marchand et non-marchand) dans les échanges sur les changements climatiques.
Les pays en développement ont-ils les moyens de passer aux énergies renouvelables et le fonds pour « les pertes et dommages » sera-t-il suffisant ?
G. Itsoua Madzous : Le nouveau fonds sur les Pertes et dommages n’est pas mis en place pour financer la transition énergétique. Il est mis en place pour permettre aux pays les plus vulnérables de financer la réparation des dégâts causés par le réchauffement climatique.
L’Afrique est un continent riche de matières premières dont il ne profite pas. Quels remèdes ?
G. Itsoua Madzous : En diplomatie d’affaires, j’ai appris que maintenir l’Afrique dans cet état est conçu dans les grands laboratoires de stratégie des pays du Nord. C’est le pourvoyeur de la matière première pour les industries du Nord, qui les transforment et les revendent à des prix multipliés par dix. C’est donc profitable pour les économies des pays du Nord. L’actualité prouve que l’Afrique veut prendre en main son destin, les indicateurs sont au vert, attendons.
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