Troyes - culture
Marie-Hélène Aïn, directrice du TPC (Théâtre Populaire de Champagne) faute de pouvoir remettre en route les ateliers de bonneterie a décidé de rallumer nos souvenirs.
Pour ce faire, elle a réanimé une ancienne création du TPC, Les Tireuses de comète, une pièce « engagée » dans le mouvement social contestataire et tirée Des Troyennes, une oeuvre autrefois écrite par elle et par Monik Lepeu. La mise en scène était alors de Pierre Fabrice, emmusiquée par Philippe Cuisinier. C’était en 1984, avec une reprise en 1992 à St André.
À l’époque le spectacle sut « attendrir » l’Est-Eclair et enchanter les vraies bonnetières venues applaudir cette pièce qui parlait de leurs espoirs et de leurs colères. Il est vrai qu‘une des sources authentiques et intarissables de cette pièce venait de Suzanne Gallois-Parigaux une syndicaliste de choc qui avait commencé sa vie syndicale dans les années 30.(1)
Est-ce cette effervescence édifiante qui entraîna l’historienne Hélène Harden-Chenut en 2010 à publier son étude sur les Ouvrières de la République ?
Les « comètes » en cause sont des métiers type Comet rectiligne qui tricotaient des pièces de tissu qui devaient ensuite être rassemblées et cousues. Et les tireuses en question étaient les ouvrières capables de s’en servir. La bonneterie avait besoin de cette main d’oeuvre féminine que les patrons régalaient de compliments appuyés et de légers salaires. Patrons paternalistes dit-on parfois, avec une organisation du travail bien rôdée. On forme les hommes comme bonnetiers responsables de la machine, mais pas les femmes qui sont confinées dans les rôles auxiliaires de rebrousseuses, couseuses, bobineuses, visiteuses et raccoutreuse. Ma mère était raccoutreuse et en était fière tant il fallait une vue parfaite pour rattraper au crochet la maille filée. Une artiste quoi, reconnue comme telle par le chef mais pas par le caissier.
Cette exploitation des ressources humaines, appuyée par une formation professionnelle maison fit la fortune de quelques magnats de la chaussette et du caleçon.
C’est tout cela que nous fait deviner la pièce : les cadences, la fragmentation des tâches, les changements de postes, les chronométrages, et l’éternel et immuable geste ordonné par la machine qui provoquera plus tard le syndrome du canal carpien et les scolioses diverses. Bien sûr que la p’tit’ bonnetière, belle et pas fière, comme dit la chanson, reine de beauté d’un jour, n’était que l’appendice de la machine ;
Mais dans la pièce, elles sont bien davantage, car elles causent beaucoup, de leurs peines et de leurs joies, famille, travail, tracas, la crainte de perdre leur gagne-pain quand la concurrence étrangère menace. Une humanité qui refuse la servilité.
Il y a de la part de Marie-Hélène Aïn tout un art à faire vivre ce monde de l’usine. Il faut savoir choisir la bonne actrice pour le rôle de Charlotte, élue reine de la bonneterie. Ce fut Laétitia Ollier, très digne évidemment. Plus parfait en patron, elle ne put trouver meilleur que Fethi Cheikh. Jean-Pierre Cahier joua le médecin fol-ding que Molière n’aurait pas renié. La syndicaliste fut interprétée par Anna Zajac. En tireuses de comètes, on trouva Christiane Brasseur, Adeline Colinet, Valérie Fouquet, Sylvie Garnie et Géraldine Maillet, Deux journalistes (Alex Mourey et Teo Volpe) rapportaient les faits à leur manière. Une sorte de roman historique de la bonneterie qui se moque de l’histoire véridique. Mais il faut faire rêver, sinon, il n’y a plus qu’à se foutre à. L’eau. Un beau spectacle vraiment, gesticulant, chantant, édifiant.
(1) Elle fut interviewée par France-culture.
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