Inégalités
Alors que se tient le Forum de Davos, le dernier rapport d’Oxfam signale un creusement inédit des écarts de revenus sur la planète : quelques potentats engrangent des milliards, quand les souffrances de la majorité des Terriens ne cessent de s’intensifier.
À l’heure même où s’ouvrait le Forum de Davos réunissant les chefs des plus grands groupes du monde capitaliste avec nombre de figures de premier plan de la planète politique, l’ONG Oxfam publie un rapport qui fait l’effet d’un nouveau pavé dans la mare. Les milliardaires sont de plus en plus nombreux et ils ne se sont jamais aussi bien portés que ces deux dernières années. Depuis la pandémie, on compte un nouveau milliardaire toutes les trente heures.
Dans les secteurs de l’agroalimentaire, ils « ont vu leur fortune augmenter d’un milliard de dollars tous les deux jours », relèvent les enquêteurs d’Oxfam. Et de mettre en exergue le gonflement des rentes de la déjà richissime famille états-unienne Cargill, dont le groupe du même nom est le plus gros négociant en grains de la planète : 5 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) de bénéfice net en 2021. Ce sont les plus gros profits de son histoire.
À l’inverse, pendant la même période, des milliards d’habitants de la planète ont vu leurs conditions de vie se détériorer. Et la machine s’emballe aujourd’hui avec l’explosion des prix de certaines denrées de base, menaçant les plus pauvres dans leur existence même. La guerre en Ukraine a propulsé encore davantage vers des sommets inédits les prix de certaines denrées de base comme le blé. Mais elle n’est pas la cause fondamentale de l’explosion des inégalités, pointe à juste titre Oxfam. Au total, estime l’ONG, l’aiguisement des multiples crises observées ces derniers temps « pourrait faire basculer jusqu’à 263 millions de personnes dans l’extrême pauvreté en 2022 », soit un million de personnes toutes les 33 heures.
Un enrichissement démultiplié pour une minorité
Oxfam passe en revue « ces géants qui tirent parti de la souffrance ». Des multinationales de l’agroalimentaire, comme Cargill, on l’a vu, à celles de la pharmacie ou des technologies de pointe, les mastodontes du capital ont engrangé des profits comme jamais. Les marges des champions de l’énergie ont augmenté de 45 % sur la période. Soit un gain de 53,3 milliards de dollars (49 milliards d’euros) pour les milliardaires du secteur du pétrole, du gaz et du charbon.
La pandémie a constitué un terrible révélateur du creusement de ces inégalités jusque face à la mort. Plus de 20 millions de personnes, pointe Oxfam, sont mortes du Covid, dont un million au sein de la seule superpuissance états-unienne ( triste record parmi les pays développés).
Ce qui illustre les dégâts causés par un système de santé lui-même gravement inégalitaire car centré, par principe, sur l’optimisation des profits d’un secteur privé assurantiel omnipotent. Partout « les richesses extrêmes corrompent la sphère politique et médiatique », fait observer Oxfam.
Qu’est-ce qui a constitué le ressort de cet enrichissement démultiplié d’oligarques, devenus plus nombreux mais restés ultra-minoritaires,
quand une immense majorité de Terriens s’appauvrit ? Oxfam confirme le rôle des banques centrales et des gouvernements qui ont inondé, durant la période du Covid, les marchés de crédits gratuits. Un « quoi qu’il en coûte » qui a bénéficié quasi exclusivement aux poids lourds des marchés. « Cette injection de liquidités a eu pour effet collatéral direct une augmentation stupéfiante de la fortune des milliardaires », décrit Oxfam, tout en en restant à ce constat.
D’énormes bulles financières explosent
L’absence de sélectivité des crédits alloués aux plus grands groupes a pourtant stimulé les opérations les plus spéculatives, sans véritable retombée sur l’économie réelle. Elle a fait gonfler d’énormes bulles financières, qui sont en train d’exploser les unes après les autres, du secteur du numérique à celui des monnaies virtuelles (bitcoin). Ce qui menace l’économie mondiale d’une déflagration qui pourrait mettre encore plus à mal les plus pauvres, comme les travailleurs ordinaires et creuser encore davantage les inégalités.
L’ONG n’aborde pas cette terrible dérive systémique dont on a commencé à subir les effets. Les solutions qu’elle avance, sur le terrain fiscal, n’en constituent pas moins de premières réponses essentielles face à l’urgence de la situation. Elle recommande l’instauration d’un « impôt provisoire de 90 % sur les bénéfices excédentaires réalisés par les plus grandes entreprises mondiales durant la pandémie », afin de « dégager des fonds considérables » pour les investissements publics, sociaux et environnementaux.
Oxfam se prononce également en faveur d’un autre impôt exceptionnel, à hauteur, lui, de 99 %, « sur les nouveaux gains des milliardaires », et réclame « un impôt permanent sur la fortune des plus riches ». Les anciennes politiques biaisées mèneront « inéluctablement à la catastrophe », conclut l’ONG, en plaidant pour qu’il soit mis fin à ces inégalités qui « ne devraient plus tuer ».
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