À vivre sous Macron, on se détériore, mais avez Jahan, Suarez et consorts on se revigore. Les consorts, en question, ce sont Leprest et Dimey, de la belle gouaille, du rap mélodieux, du cousu langue précieuse. La culture se tourmente et se lamente en ce moment. Elle a sur le dos le politique qui l’étiole, le franglais qui la viole (1) et un public pas très mariole qui préfère le gros sel de la rigolade sinon les sirupeuses chansonnades.
Autant vous dire que les « cultureux » ont du mal à se la péter. Les bretelles restent collées au plastron. Difficile de jouer la farce ou la tragédie sans boulot et le pass sanitaire qui menace. Pourtant, le Théâtre de la Madeleine a retrouvé l’Arlésienne et organise sa saison contre vents et pandémie tentant d’apporter à son public du spectacle salutaire et sagace. Et,qualité ne veut pas dire élitisme, n’en déplaise à certains qui ne jurent que par motets en cathédrales. Entre parenthèses, à lire le journal local, que deviendrions- nous s’il n’y avait pas les visites des églises ?
Le TM a donc convoqué Jehan au nom antique. C’est facétieux un nom pareil car son proprio s’en sert pour chanter les vers d’avant-garde d’Allain Leprest et de Bernard Dimey ; un Leprest qui balance sa sauvagerie en vers raffinés et bienfaisants ; un Dimey qui arbore son anarchisme alcoolisé de nostalgie. La voix de Jehan, c’est quelque chose à l’air pur du jardin de la MOPO (2). Quand on parle de spectacle vivant, c’est à la voix qu’il faut d’abord penser. Enregistrée, une voix se ratatine. Au soleil des festivals, elle se déboutonne. Jehan qui passe partout où il y a de l’humanité à rebâtir, possède ce talent inimitable qu’avaient les trouvères de jadis, Jehan Bodel ou Jehan de Condé.
Mais les trouvères ne possédaient pour les accompagner qu’une maigre harpe. Jehan a choisi un accordéon avec musicien attenant. Et quel musicien ! Lionel Suarez, personnalité hors pair d’un instrument, devenu par l’art d’artistes émoulus, un orchestre à lui tout seul. Autrefois décrié, l’accordéon fournit aujourd’hui à force de travail, de goût, de création, des interprètes étonnants. Suarez est de ceux-là, capables d’épouser les textes chantés, de les habiller de frais, de les habiter et de les conduire aux noces du succès. Avec son orchestre de poche, Lionel Suarez semble arracher les mots de Leprest et de Dimey de la gorge du chanteur. Une musique accoucheuse.
Le lendemain elle accompagna Clotilde Courau, par ailleurs princesse italienne (3), dans des lettres d’Edith Piaf. Succès garanti. Puis, le 3ème jour, Suarez picorait sur des textes de Christian Bobin. Puisqu’on avait l’orchestre, on en a profité. Même souci de dialogue efficace entre texte et musique et sans paraphraser. Du cousu mains Suarez et trois soirées sans une goutte d’eau dans un cadre rare. Bonheurs assurés.
(1) Parler la langue du maître américain à la place de sa propre langue française, c’est collaborer à notre disparition politique et culturelle.
Alain Borer
(2) Maison de l’Outil.
(3) Le Prince Emmanuel-Philibert, son mari, ne chante qu’en amateur, il gagne mieux dans la finance.
© 2024 - La Dépêche de l’Aube
Création : Agence MNKY