Fin août 44 dans l’Aube on fêtait la Libération. Je l’ai connue. J’ai l’âge encore. Beaucoup de gens riaient et dansaient sur les places. Les filles les plus effrontées grimpaient sur les chars pour embrasser à pleine bouche le brave GI, notre libérateur. Les mômes guettaient où allaient tomber les chewing-gums et mendiaient quelques cigarettes.
Chez ma grand-m ère au contraire ce furent des larmes car à part un Sherman qui traversa le village précédé d’une jeep, c’est le cercueil de mon oncle qu’on apporta. Il avait été fusillé à Creney avec 48 autres jeunes gens, sortis manu militari le 22 août par les SS dont la majorité (7 sur 9) étaient des Bretons du groupe Bezen Perrot, des nationalistes passés à la pire collaboration.
Des centaines de familles auboises furent endeuillées de cette façon. Il y eut Creney, Buchères et des morts semés au hasard des villages traversés par les Allemands, ou tués par le hasard malheureux des bombardements.
La guerre continuait à l’Est. Les prisonniers, les STO, les déportés n’étaient pas encore rentrés. La peur du pire étreignait de nombreuses poitrines.
Aujourd’hui, 76 ans après, on n’a pas encore fait le bilan exact de ces douleurs accumulées. Historiens et associations fouillent encore les ruines de cette mémoire terrible. On retrouve des héros oubliés, mais surtout on essaie de comprendre mieux le processus, les causes, qui ont conduit à cette monstrueuse inhumanité du nazisme.
On a du souci à se faire : l’historien Johann Chapoutot qui en a étudié le fonctionnement économique, explique en effet que le système nazi donne aujourd’hui des idées à des économistes libéraux, qui, par ailleurs, ne pensent qu’à notre bonheur.
Jean LEFEVRE