Le sénateur communiste Éric
Bocquet, rapporteur d’une
commission d’enquête sur
la fraude fiscale, a réagi à
l’arrestation au Japon de
Carlos Ghosn, Pdg de
Renault-Nissan sur des
soupçons de fraude fiscale
et d’abus de biens sociaux.
Que pensez-vous de cette arrestation ?
Éric Bocquet : Je note une accélération des révélations. On s’était
habitué à un scandale par an. On est passé à un scandale par semaine.
Il y a eu les Panama et les Paradise Papers, les Lux, Offshore et Football
Leaks ces dernières années. [...] Cette semaine, c’est encore plus
impressionnant avec l’arrestation de Carlos Ghosn, que l’on pouvait
imaginer intouchable. On peut se demander qui sera le prochain. Le
sujet devient incontournable dans le débat public, grâce aux ONG,
aux lanceurs d’alerte, aux journalistes d’investigation et aux travaux
parlementaires. Tout cela alimente une prise de conscience et une vigilance
accrue. Mais la lutte contre la fraude fiscale est insuffisante
en France.
Macron a assuré qu’il serait “vigilant” à la “stabilité” de Renault…
É.B. : Il y a là un décalage saisissant. Si les autorités japonaises ont
procédé à l’arrestation spectaculaire d’un PDG de ce calibre, j’imagine
qu’elles ont un dossier solide et qu’elles ne s’amusent pas. L’État français,
qui détient des capitaux dans la holding Renault-Nissan, ferait
bien de réclamer la démission de Ghosn et de se pencher avec sérieux
sur la situation fiscale de ce groupe et son dirigeant. Cette holding a
d’ailleurs son siège aux Pays-Bas. Pourquoi ? Des raisons fiscales ?
Ghosn a reçu 13 millions d’euros en tant que PDG en 2017...
É.B. :C’est indécent. Rien ne justifie qu’un dirigeant puisse gagner 300
fois plus que le salarié le moins bien payé d’une entreprise. C’est pourquoi
les parlementaires PCF défendent une échelle des salaires de 1 à
20, qui permettrait d’encadrer et de limiter les écarts.
Il ne s’agit pas du premier grand patron soupçonné de fraude fiscale…
É.B. : En France, Arnault, Pinault et Dassault ont déjà été pointés pour
leurs pratiques « d’optimisation ». La fraude, l’évasion ou l’évitement fiscal
sont au coeur de la machine capitaliste. L’idée est d’accumuler des
sommes considérables et d’échapper à l’impôt pour participer le moins
possible au fonctionnement de la société. En France, le coût est estimé
à cent milliards d’euros par an, soit plus que notre déficit. C’est insupportable.
Et c’est la preuve que ceux qui répètent qu’il n’y a plus d’argent,
que la dette vient de la dépense publique et qu’il faut s’imposer des sacrifices,
travailler plus longtemps et se soigner moins nous abusent.
Les sanctions et la volonté politique sont-elles suffisantes en France ?
É.B. : À l’évidence non. La dernière loi anti-fraude proposée par le ministre des Comptes publics ne va pas assez loin. Le plaider-coupable permet à une banque ou une entreprise de reconnaître sa responsabilité et de faire un petit chèque pour ne pas aller en justice. Il faudrait des lois beaucoup plus répressives, et plus de moyens : Gérald Darmanin fait grand cas de sa nouvelle police fiscale forte d’une quinzaine de postes, mais la direction générale des finances publiques va encore perdre plus de 2 000 postes l’an prochain.